NOMADOLOGIE
    
MATIERE
   
De la terre - disons-le autrement : à partir de la terre, en
provenance de la terre, avec la terre, fabriqué avec elle.
De toute façon, quelle que soit l'acceptation, conçu avec
de la glaise, en écho au premier démiurge, païen ou
non, qui a créé le monde en modelant le matériau
prélevé sur le chaos, arraché au désordre avant de lui
donner vie à l'aide du souffle. Du feu, donc également,
en guise de paraclet immanent destiné à durcir, à
animer, à figer dans l'éternité de l'art, à prendre rendez-
vous avec le temps pour se mesurer à lui. Ainsi le monde
peut bien advenir.
   
   
NOMBRE
   
Des tribus, rarement des solitudes, souvent des groupes.
Des familles telles que tous les discours généalogiques les
conçoivent : une mère, un enfant, un père, sa femme et leur
progéniture. Un groupe, le noyau primitif qui assure d'une
capacité à répondre aux violences alentours. Pas d'individus
solitaires comme la modernité les invente, mais des agrégats
primitifs destinés à conjurer le mauvais sort : les intempéries,
la pénurie, le danger venu des autres ou des animaux,
la faim, la soif, la possibilité de préserver son être.
   
   
ACTIVITES
   
Survivre avant tout : boire, manger, dormir, se refaire une
santé, des forces, se reposer, restaurer son corps par les
marches. Mais aussi les activités courantes dans les villages
premiers, les communautés originaires : retirer une épine
du pied, épouiller un enfant, nourrir des animaux. Mais
aussi, en signe de relation intime avec les rythmes et les
cadences cosmiques encore familières aux hommes, faire
de la musique, souffler dans un chalumeau, cadencer le
souffle de peaux. Du besoin au luxe, de l'alimentation des
corps à la nourriture des âmes.
   
    
BESTIAIRE
    
Le chien, compagnon fidèle, dévoreur d'ordures et
support aux affections frustes, signe du passage des
peurs de la sauvagerie au pouvoir de domestiquer ; mais
aussi les oiseaux, nourris, certes, mais dans le dessein de
fournir sûrement de la nourriture le jour venu, des
chèvres également, pour le lait, la viande, la sobriété
des besoins ; un singe, enfin, pour rappeler la proximité
du mammifère et de l'homo sapiens, leur proximité et
leur intime et indépassable parenté - frère métaphysique,
double ontologique.
   
    
ERRANCE
    
Dormir ou manger, oui, mais pour pouvoir reprendre la
marche et partir encore et toujours sur des chemins qui
ne mènent nulle part. Car, en dehors des songes, des
rêves de ces corps allongés à même le sol, les humains
quêtent : un endroit plus agréable, un lieu plus hospitalier,
une géographie moins dangereuse, un temps plus
clément. Tribus errantes, nomades impénitents, haine du
domicile et goût furieux, viscéral pour la liberté et ses
métaphores : la marche, le mouvement, le déplacement
vers ailleurs.
   
   
SENSUALITE
   
Et puis cette immense et perpétuelle sensualité. Envie de
rencontrer ces femmes presque nues dont les vêtements
sont rares, loqueteux, effilochés, moulants. Pour leurs
fessiers proéminents, leurs croupes larges, excitantes,
leurs petits seins fermes et haut placés, leurs tailles
étroites, leurs jambes longues, parfois écartées, leurs
peaux cuivrées, bronzées, tannées ; le désir affleurant,
l'innocence d'un érotisme païen, simple sobre encore
intact et pur.
   
    
ALLURE
    
Des rois ou des fils de roi, des reines ou leurs filles, des
tribus royales, certainement, parce que libres, sans
entraves, sans limites, sans autres obligations que leurs
caprices. Et ces vertus oubliées, négligées, méprisées,
perverties par les civilisations et les religions qui
rapetissent : fierté, détermination, mélancolie, intrépidité.
Innocence, volonté et autres grandeurs associées aux
peuples farouches, indomptés, sauvages et créateurs de
leurs propres valeurs.
   
   
Michel ONFRAY